Ordonné diacre permanent au service du diocèse et de la paroisse le 11 octobre 2008 à l’âge de 49 ans, Eric a rejoint la maison du Père le 3 novembre 2010 à l’âge de 51 ans suite à une maladie brutale (Lire l’homélie du père Mathieu de Raimond ). Eric était marié à Quidi et père de 5 enfants, en activité professionnelle dans l’aménagement du territoire (une rue est à son nom à Sarcelles, inaugurée le 10 mars 2012). La mission diaconale reçue était d’accompagner l’aumônerie des jeunes de Versailles (le “48”) ainsi qu’une équipe du “Mouvement des cadres chrétiens”.
“La croix dans nos vies”, témoignage sur la maladie et l’espérance chrétienne
Pour le pèlerinage diocésain à Lourdes 2010 (27 avril – Basilique du Rosaire)
“Voici le texte du témoignage oral que nous avons fait, un certain mardi matin, à la Basilique du Rosaire dans le sanctuaire de Lourdes, dans le cadre du pèlerinage, en présence de notre Evêque Monseigneur Aumonier et des pèlerins de notre diocèse”
Un témoignage à 2 voix, que nous vous livrons par écrit, suite à la demande de certains d’entre vous : hospitaliers, et certains pèlerins qui ne pouvaient être présents vu l’heure matinale, amis et famille qui nous soutiennent et tout ceux qui nous ont accompagnés à Lourdes par la pensée.
>>>> Eric
La semaine dernière, j’ai reçu un petit mail qui me disait : « Eric, pour le lancement de la journée du désert, il est prévu un témoignage de quelqu’un qui pourrait parler de son expérience d’une vie marquée par la Croix « et le mail se terminait ainsi : « pour faire ce témoignage, j’ai pensé à toi. »
Ces 4 derniers mots « j’ai pensé à toi » m’ont rendu à la fois joyeux et triste. Joyeux, car c’est toujours sympa quand un ami vous dit « j’ai pensé à toi » ! Triste, car j’ai réalisé que ceux qui me côtoient depuis ma récente maladie considèrent que ma vie actuelle est marquée par la Croix.
Dans un premier temps, j’ai pensé refuser. J’avais plein de bonnes raisons : le manque de forces physiques que ce soit pour préparer, mais aussi pour parler en public, et puis surtout le manque de recul… Je pourrais dire le « manque d’expérience », puisque cette Croix de la maladie, et du handicap qu’elle provoque, n’est arrivée dans ma vie que depuis un an… Un an d’expérience, sur 51 ans d’existence, c’est vraiment peu, par rapport à tant d’autres parmi vous qui portent des Croix depuis la naissance, ou depuis des années.
>>>> Quidi
Les bonnes raisons de dire non, en en discutant ensemble, elles sont tombées peu à peu. Pour ce qui est de la crainte de ne pas y arriver physiquement, j’ai proposé à Eric que l’on témoigne ensemble. Ensuite nous avons réfléchi sur « notre manque d’expérience » dans le domaine de la Croix et de la souffrance où comme Eric je me sentais totalement novice… C’est vrai que jusqu’à l’année dernière, la vie nous avait, comme dit l’expression, « plutôt gâtés ». Mais cette demande nous a fait réfléchir …
Et alors nous avons mesuré qu’en une année, la gravité et les conséquences de cette maladie nous ont fait brûler les étapes et parcourir un sacré chemin que certains n’hésitent pas à qualifier de « chemin de Croix », lorsqu’ils constatent avec consternation les renoncements successifs d’Eric : l’alpinisme ou ne serait ce que la marche en montagne, la guitare, conduire sa voiture, son activité professionnelle stoppée net…
Beaucoup d’adaptations douloureuses aussi, comme d’accepter de vivre son ministère de diacre d’une manière différente, que ce soit dans notre paroisse, ou pour ses missions en aumônerie et auprès des cadres chrétiens. Pour moi son épouse, pour nos cinq enfants encore lycéens ou étudiants, donc en partie à la maison, que de changements et de questionnements…
>>>> Eric
Résumer ici en quelques minutes comment la Croix marque notre vie n’est pas un exercice facile même si c’est un sujet très actuel pour nous…
Tout d’abord, j’ai envie de vous parler d’une croix inattendue qui est vite venue se rajouter à celle de ma maladie…
Cette croix pour moi, pour Quidi, consiste à faire face à de nombreux amis ou paroissiens qui nous expriment leur incompréhension, leur révolte… A chaque fois les mêmes mots : « mais qui est ce Dieu qui permet une telle épreuve ? » Il est vrai, que le fait que je sois diacre fraichement ordonné à encore plus semé le trouble dans de nombreux esprits qui étaient touchés par la grâce et la joie de ma récente ordination diaconale… Dés le début je savais que j’allais me battre contre la maladie, mais je n’avais pas prévu cette vague d’émotion et de questions, ni cette soif de rencontres à mon égard.
Je n’avais pas imaginé que ce serait souvent à moi d’aider mon entourage à accepter l’inacceptable alors que, moi aussi, je suis en proie au même questionnement… Je vous confie 2 pensées qui m’ont soutenues, et me soutiennent encore quand je doute. 2 pensées toutes simples à dire, mais parfois si compliquées à vivre…
La 1ère est : « ne pas se tromper de Dieu » car ce n’est pas Dieu qui décide d’envoyer la maladie ou toute autre souffrance physique ou morale. Et pourtant, devant une catastrophe naturelle, un accident, une maladie, une souffrance familiale on se demande souvent « mais où est Dieu dans tout ça ? » J’aime bien cette phrase très connue de Paul Claudel : « Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance, il n’est même pas venu l’expliquer. Mais Il est venu la remplir de sa présence ».
Ma 2ème pensée, c’est au sujet de la question « pourquoi » que l’on se pose quand l’épreuve arrive. Une seule réponse m’apaise et elle tient en un mot, c’est le mot « mystère ». Mais à condition de bien comprendre ce mot « mystère ». Je trouve la comparaison suivante assez parlante à mon cœur : « un mystère, ce n’est pas un mur sur lequel mon intelligence se brise, mais plutôt une porte qui s’ouvre, vers des horizons infinis ».
>>>> Quidi
Tout à l’heure j’ai parlé de Chemin de Croix, et je voudrai y revenir car il y a une station qui a pris une grande importance pour moi ces derniers temps. Il m’est facile de retenir son numéro c’est la station 5 comme nos 5 enfants. Je vous cite la phrase de St Luc : « Comme ils l’emmenaient, ils mirent la main sur un certain Simon de Cyrène qui revenait des champs, et le chargèrent de la croix pour la porter derrière Jésus. »
J’en déduis plusieurs choses qui me rassurent : d’abord si Jésus a eu besoin d’aide, oh combien moi aussi, j’ai besoin d’aide dans l’épreuve… Seulement, je ne dois pas oublier que Dieu me laisse libre, et même s’il connaît ma souffrance du moment, il attend (peut être) pour me soutenir que je me confie à lui, par la prière notamment.
Ensuite je me suis dit que Jésus aurait pu refuser l’aide de Simon de Cyrène, mais d’après les évangiles, il l’a accepté, je crois que la question ne s’est pas posée. Oui, mais la Croix de Jésus était bien visible de tous, c’était évident qu’il portait en lui, et sur lui, une souffrance matérialisée par cet énorme morceau de bois.
Alors que bien souvent nos Croix sont invisibles : souffrance familiale, séparation, dépendance à l’alcool, drogue, chômage, dépression, maladies psychiques et même certaines maladies physiques. Pour Eric, ce fut le cas, sa maladie avait été diagnostiquée presque par hasard, et lui était toujours en pleine forme, rien ne pouvait se deviner. Alors aussitôt pour nous, s’est posée la question suivante : tant que la souffrance ne se voit pas, vaut-il mieux la garder invisible pour les hommes et la confier seulement à Dieu ? Autrement dit, cette Croix subite, allions nous la laisser invisible jusqu’à ce qu’elle devienne visible d’elle-même peu à peu ?
Mais si on ne dévoile pas sa Croix, comment alors demander de l’aide humaine ? Voila pourquoi nous avons fait le choix de partager cette épreuve avec notre entourage car nous sentions que nous avions besoin très vite d’un maximum de « Simon de Cyrène » pour nous aider à porter et supporter cette épreuve. Je pense que c’est à chacun de discerner le ou les « Simon de Cyrène » qui peuvent l’aider au mieux…
>>>> Eric
Ce matin comme nous avons la grâce et la joie d’être à Lourdes, j’ai envie de partager avec vous une phrase écrite par le Pape Jean-Paul 2, dans sa lettre apostolique sur la souffrance et qui a été publiée le 11 février 1984, justement le jour de la fête de Notre-Dame de Lourdes. Je le cite : “La Croix du Christ est devenue une source d’où coulent des fleuves d’eau vive”
J’aime particulièrement cette phrase, et je souhaiterai tant essayer de m’en approcher un peu ; et que de la croix de ma maladie et du handicap puisse éclore des fruits nouveaux.
Que ce soit dans ma vie professionnelle ou familiale, j’utilise depuis longtemps une expression qui tient en trois mot, c’est : « Traquer le positif ».
Actuellement, ce mot « traquer » prend tout son sens, car il faut vraiment le vouloir pour chercher et trouver du « positif » dans cette nouvelle vie, dans ce nouvel emploi du temps, dans ce vide laissé par mon métier que j’aimais particulièrement et que je ne peux plus exercer.
Je suis persuadé que ce n’est pas la souffrance elle-même qui nous rapproche de Dieu mais plutôt la conséquence de la souffrance et ce que nous en faisons… D’ailleurs en préparant mon témoignage j’ai lu une phrase qui résume bien cela « ce n’est pas la souffrance elle-même qui élève l’homme, mais les fruits de son acceptation ».
Je m’aperçois peu à peu qu’il me faut tenir un équilibre précaire, comme sur le fil d’une arête de neige en haute-montagne, à la fois me battre contre la maladie sans fatalité et sans écouter les statistiques, et à la fois accepter ce fardeau tout nouveau. Parfois en fermant les yeux je contemple la Croix, ma Croix. Bien sûr c’est un lourd fardeau à porter. Parfois cette Croix, j’imagine que je la porte différemment et plus facilement : je l’imagine devant moi et je la pousse comme on ferait rouler un rocher en le basculant.
Et puis cette Croix par moment je l’espère sous une toute autre facette : je l’espère comme un bâton, comme un appui solide sur lequel tout mon être peut s’appuyer en toute confiance, lorsque je m’arrête et que j’ai du mal à rester debout… Un appui comme le sont aussi les grâces et la force de notre sacrement de mariage.
>>>> Quidi
Quant à moi, j’ai trouvé sur internet une autre image de la Croix, tout simplement en tapant « porter sa croix » dans un célèbre moteur de recherche que je ne citerai pas !
Imaginez une succession d’images… Plusieurs personnes portent chacune leur croix, de très grosses et très longues croix… Puis dans l’image suivante une des personnes trouve sa croix vraiment trop lourde, trop longue, se révolte, prend une scie, et se met à la couper. Le dessin suivant montre les personnages marchant toujours avec peine sous le poids de leur longue croix, et on voit, loin devant eux, celui qui a raccourci et allégé sa croix, qui marche allègrement en sifflotant … L’image suivante, c’est la dernière… chaque personnage est en train de franchir un profond précipice grâce à sa propre croix posée de part et d’autre, et qui lui sert de passerelle… mais celui qui a allégé et raccourci sa croix ne peut plus avancer, sa croix est trop petite, et ne peut l’aider à passer l’obstacle…
J’ai constaté avec surprise que souvent lorsque qu’une épreuve nous tombe dessus, le Seigneur peut nous donner des forces et des grâces supplémentaires… Comme sur les images que je vous ai décrites, ce n’est pas parce qu’on connaît une souffrance qu’on va droit à l’échec ou que l’on ne peut plus avancer dans la vie ; étonnamment, c’est bien souvent le contraire qui se produit.
>>>> Eric
Avant de terminer, nous rendons grâce pour ces rencontres privilégiées dans ce Sanctuaire de Lourdes où nous pouvons déposer notre fardeau, et où, à la suite de Marie, nous ré-apprenons à faire le signe de la Croix.
Eric et Quidi de Saint Sauveur
Témoignage en version PDF (pour téléchargement ou impression).